A présent qu’OPTICA est lancé, il nous est apparu important de rencontrer à nouveau Lucien Gratté pour expliquer dans quel état d’esprit s’est fait la donation et la mise en place du projet OPTICA.

La rédaction : Lucien Gratté, je suppose que pour un collectionneur, le don de ses collections est un acte majeur et peut-être un peu douloureux sentimentalement ?

Lucien Gratté : Vous savez, la plupart des grands musées dans le monde sont nés de donations, parfois un peu forcées, il est vrai. Les créations volontaristes comme le musée des Arts Premiers à Paris sont finalement assez rares. Et puis, je suis un collectionneur atypique : finalement, je ne m’attache pas aux objets.

Q. Donc, OPTICA est un musée ?

R. Pas du tout. La première des raisons est que les pièces de ma donation sont loin d’être des pièces de musée, au sens habituel du terme. La plupart d’entre elles sont, disons banales, ce qui d’ailleurs a joué contre elles, car les pièces banales finissent dans l’oubli. L’intérêt de la collection présentée ici réside justement là, car il faut beaucoup de temps et de patience pour lutter contre cette banalité et constituer des ensembles représentatifs. Les philatélistes qui veulent faire une collection de timbres français oblitérés en savent quelque chose !

Q. Pourtant, le patrimoine prend une place de plus en plus importante dans notre société. Il n’est que de voir l’engouement lors des fameuses « Journées » où l’on fait la queue aux portes des châteaux, des églises et même des entreprises…

R. Je m’en réjouis, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Ce patrimoine, intéressant certes, n’est qu’un des aspects de ce qui nous a été transmis. Il y a malheureusement partout des associations locales qui se battent, ici pour qu’on relève enfin une croix de carrefour du XVe siècle enfouie sous les ronces, là pour éviter qu’un lotissement ne bouleverse un four gallo-romain, là encore pour qu’un promoteur soit empêché de détruire un « ilot » de maisons médiévales en centre-ville.

Q. Revenons à OPTICA. Ce n’est donc pas un musée. Alors, quel qualificatif lui donneriez-vous

R. Je vais faire un détour par l’actualité récente. Actuellement, il y a un débat sur un éventuel réchauffement climatique qui se produirait, disons à une vitesse infiniment beaucoup plus rapide que les oscillations observées dans le passé. Vous voyez, je pèse mes mots pour ne fâcher personne. Le problème a des conséquences importantes à moyen et même à court terme pour la planète. Il est complexe car il met en jeu des mécanismes étudiés par des disciplines scientifiques qui ne raisonnent pas dans la même échelle de temps et pour bien d’autres raisons encore.

On voit paraître en librairie des livres qui contestent cette hypothèse, allant même jusqu’à traiter les chercheurs d’imposteurs. Ces derniers ont pétitionné auprès de la ministre des Universités et de la Recherche, qui s’est retranchée derrière l’Académie des Sciences.

Deux choses me gênent dans cette affaire. La première, c’est que derrière la démarche des chercheurs, il y a le problème de la liberté d’expression qui ne passerait que par des structures et des médias dûment habilités. Après tout, des idées comme la dérive des continents, unanimement reconnue de nos jours, ont été violemment combattues en leur temps par une partie de la communauté scientifique.

A l’inverse, ces livres forcément réducteurs dans leurs thèses trouvent une oreille complaisante parmi un lectorat qui n’a pas les moyens de juger de leur bien-fondé et ce n’est pas un jugement péjoratif : je suis moi-même incapable de comprendre les enjeux de la paléoclimatologie, par exemple. Hélas, ceux qui adhèrent aux arguments des auteurs ont l’impression d’avoir tout compris et développent un complexe de supériorité envers ces chercheurs qui, c’est bien connu, ne trouvent jamais rien ou alors organisent des complots pour cacher on ne sait quoi au bon peuple.

Mon propos n’est pas de dire qui a tort ou qui a raison. Ce qui est en cause, et je l’ai constaté dans des activités antérieures, c’est le manque de volonté — et là je parle globalement — de la part de la communauté scientifique de faire de la vulgarisation. Parce que c’est difficile et parce que la carrière des chercheurs repose sur les publications dans des revues dûment homologuées. Tout le monde n’a pas le charisme d’un Hubert Reeves en astrophysique ou d’un Yves Coppens en anthropologie préhistorique. Et c’est bien dommage, car il y a une demande, il n’y a qu’à voir le « carton » qu’ont fait les émissions télé sur l’histoire de l’espèce humaine.

Q. Et OPTICA, dans tout ça ?

R. OPTICA se place résolument sur le créneau de la vulgarisation. Nous sommes partis du principe que les premières pièces qui ont permis à l’image de s’animer, qui valent d’ailleurs une fortune, n’avaient d’intérêt que pour des initiés. C’est pourquoi nous avons choisi de partir de photocopies, de fabriquer des appareils simples sans chercher à faire des copies conformes, mais que tout puisse être manipulé par les petits et les grands. C’est ce que nous appelons le « Comment ça marche ? ». Pour que les visiteurs repartent en disant, non pas « j’ai vu », mais « j’ai compris ».

Bien entendu, il n’y aura pas que des copies, loin de là, mais dans la mesure du possible, nous ferons le maximum pour que l’on puisse toucher et pas qu’avec les yeux. Le rapport charnel à l’objet est indispensable. Tous ceux qui font les vide-greniers ne me démentiront pas : même si l’on n’a aucune intention d’acheter, on a besoin de toucher.

Enfin, les explications techniques seront à plusieurs niveaux, en fonction des possibilités de compréhension des visiteurs. Ça aussi, c’est difficile, ça prends du temps. Disons que la transmission du savoir demande aux deux parties de faire un pas l’une vers l’autre.

Q. Habiter la région toulousaine et voir se réaliser ce qui n’est plus un rêve près de Lyon, ce n’est pas en quelque sorte un déchirement ?

R. Pas du tout ! D’abord, je n’ai pas le culte de la micro-collectivité locale — Brassens qui était un grossier personnage parlait des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » . Ensuite, mes projets initiaux étaient destinés à des points de chute aussi éloignés de chez moi que peut l’être Irigny. Comme nous étions dans la période qui précédait les élections municipales, la réalisation pratique dépendait de ces élections. Il était évident qu’une telle réalisation ne pouvait se faire qu’avec une oreille favorable sur place. Les urnes en ont décidé autrement.

J’ai donc contacté mes nouveaux élus, c’était la solution de facilité. Il se trouve que la municipalité de Fenouillet venait de changer de majorité, avec tout ce que cela comporte de travail pour assurer à la fois la continuité des dossiers et, si je puis dire, la formation d’une nouvelle équipe qui ne pouvait compter que sur elle-même. C’est là que j’ai pu mesurer la solitude des élus dans les petites communes. Il y a donc eu des priorités, des arbitrages. Ce qui m’a donné le temps de préciser mon projet.

Q. Vous aviez une équipe autour de vous ?

R. C’est là que le bât blesse. Ayant connu des expériences de partenariat avec des communes, j’avais tenu à ce qu’il y ait des garanties solides pour les deux parties. C’est donc tout naturellement que j’avais demandé au président du club Niépce Lumière l’engagement de l’association et que je le tenais régulièrement au courant de la situation. Il se trouve que la répartition géographique du club est très irrégulière : nous sommes quatre membres dans la région toulousaine, assez dispersés, avec des situations professionnelles et familiales diverses. Par contre, il existait et il existe toujours sur Lyon une équipe solide qui a l’habitude du travail en commun.

Q. Donc, Irigny ?

R. C’est un peu plus compliqué. En 2007, Hélène et Jacques Charrat avaient participé aux Journées du Patrimoine organisées par l’association Louis Dunand, en apportant quelques pièces de leur collection photo.

Cette participation avait créé des rapports amicaux et, en 2008, la municipalité avait « royalement » accueillie le club Niépce Lumière pour son assemblée générale et une importante présentation de films pratiquement inédits des établissements Lumière. M. le Maire d’Irigny, conscient de l’intérêt d’ouvrir le capital patrimoine en direction de ces disciplines qui doivent beaucoup à la région lyonnaise, avait fait, si j’ose dire, un appel du pied à notre président. Engagés à Fenouillet à l’époque, il n’avait pu que décliner l’offre.

Ce temps de latence m’avait permis de définir le périmètre de ce que pourrait être une Maison des Curiosités Optiques et, surtout de mesurer l’ampleur de la tâche. De plus en plus handicapé par des ennuis de santé, j’ai jugé plus raisonnable de m’en expliquer avec mes élus et de passer le relais à Irigny. C’est ainsi qu’en janvier 2009, j’ai eu la joie de voir débarquer à Fenouillet mes amis lyonnais, qui sont repartis avec cette donation qui, j’en suis sûr, en appellera d’autres. J’ai été particulièrement sensible à la présence de M. Delesalle qui a tenu à faire ma connaissance.

Q. Le mot de la fin ?

R. Ce serait plutôt le mot du début. Le relais a été passé, il est en de bonnes mains. Je suis persuadé que la ville d’Irigny et tous ceux qui veulent la voir vivre seront à la hauteur. Je ne veux citer personne par crainte d’en oublier, mais l’aide que nous avons reçu de la part de collectionneurs et non des moindres prouve que cette réalisation est crédible et même indispensable.

Merci Lucien, et que vive OPTICA dans son nouvel environnement